Dr Nader Haddad
Expert Financier, Paris Dr Aram Belhadj
Depuis longtemps, le débat entre économistes sur l’utilité d’un régime de change plut
qu’un autre n’avait pas fait l’unanimité. Le Professeur Jeffrey Frankel de l’Université de Harvard nous a déjà prévenus en affirmant que: «aucun régime monétaire ne peut être optimal tout le temps ou pour tous les pays»[1]. En effet, chaque pays lie le choix de son régime monétaire en général, le régime de change en particulier à des caractéristiques particulières de son économie et de ses institutions (degré d’ouverture commerciale, niveau d’intégration financière, compétitivité sectorielle, autonomie de la Banque Centrale vis-à-vis des politiques, volume et structure d’endettement, etc).
En Tunisie, le décryptage de la politique de change n’était pas facile à faire et l’identification du régime de change n’était pas évidente. Preuve à l’appui : il y avait toujours un décalage entre ce qui a été annoncé (régime de Jure) et ce qui a été pratiqué (régime de facto). Actuellement, la seule évidence paraît liée au fait que la Tunisie est sur la voie du flottement de sa monnaie vis-à-vis des autres devises. Reste à savoir si ce passage sera d’une manière délibérée -comme c’était le cas dans plusieurs pays développés après la fin du système de Bretton Woods- ou plutôt imposée -comme c’était le cas il y a quelques jours en Egypte- et s’il est possible d’éviter le pire !
En Tunisie, le décryptage de la politique de change n’était pas facile à faire et l’identification du régime de change n’était pas évidente. Preuve à l’appui : il y avait toujours un décalage entre ce qui a été annoncé (régime de Jure) et ce qui a été pratiqué (régime de facto). Actuellement, la seule évidence paraît liée au fait que la Tunisie est sur la voie du flottement de sa monnaie vis-à-vis des autres devises. Reste à savoir si ce passage sera d’une manière délibérée -comme c’était le cas dans plusieurs pays développés après la fin du système de Bretton Woods- ou plutôt imposée -comme c’était le cas il y a quelques jours en Egypte- et s’il est possible d’éviter le pire !
Vers le flottement du dinar
En Tunisie, Jusqu'en 2010, la Banque Centrale adoptait une politique qualifiée de "Panier Glissant" (Crawling Basket)[2] et ce, essentiellement, pour des raisons de compétitivité.
Après Janvier 2011, l’institut d’émission était obligée de suivre une politique de change plus flexible afin de préserver les réserves de change et soutenir la demande de monnaie des banques via une réduction de l’absorption des liquidités; Désormais, le taux de change de référence est calculé en se basant sur le taux de change moyen fixé sur le marché interbancaire et l'institut d'émission n’intervient qu’à travers des transactions bilatérales, notamment lorsque le taux s’éloigne du taux fixé au début de la journée.
Le vote de la loi organique portant sur les statuts de la Banque Centrale en avril dernier est venu pour confirmer le désengagement de la BCT vis-à-vis du dinar. Depuis cette date, c’est la valeur interne de la monnaie (ou encore l’inflation) qui comptait pour l’institut d’émission alors que la valeur externe (ou encore le taux de change) a été délaissée pour pouvoir évoluer selon les conditions du marché (voir article 7 de la dite loi).
Il ne faut pas ignorer non plus la détérioration continue des fondamentaux macroéconomiques qui a ouvert la voie à la conditionnalité du FMI. Cette institution (supposée défendre à l’origine une fixité des taux de change !) réclame désormais l’inefficience d’une surévaluation de la monnaie nationale et proclame par conséquent un passage vers un taux de change flottant, garant de crédibilité et d’efficacité !
L’observation du comportement de la BCT en matière d’interventions sur le marché de change prouve, qu’effectivement, cette dernière a commencé à appliquer les directives du FMI en suivant la voie du flottement. En effet, le montant des transactions bilatérales nettes effectuées sur le marché de change est passé de 3524MDT en juin 2016 à seulement 755.8MDT en octobre 2016[3].
Après Janvier 2011, l’institut d’émission était obligée de suivre une politique de change plus flexible afin de préserver les réserves de change et soutenir la demande de monnaie des banques via une réduction de l’absorption des liquidités; Désormais, le taux de change de référence est calculé en se basant sur le taux de change moyen fixé sur le marché interbancaire et l'institut d'émission n’intervient qu’à travers des transactions bilatérales, notamment lorsque le taux s’éloigne du taux fixé au début de la journée.
Le vote de la loi organique portant sur les statuts de la Banque Centrale en avril dernier est venu pour confirmer le désengagement de la BCT vis-à-vis du dinar. Depuis cette date, c’est la valeur interne de la monnaie (ou encore l’inflation) qui comptait pour l’institut d’émission alors que la valeur externe (ou encore le taux de change) a été délaissée pour pouvoir évoluer selon les conditions du marché (voir article 7 de la dite loi).
Il ne faut pas ignorer non plus la détérioration continue des fondamentaux macroéconomiques qui a ouvert la voie à la conditionnalité du FMI. Cette institution (supposée défendre à l’origine une fixité des taux de change !) réclame désormais l’inefficience d’une surévaluation de la monnaie nationale et proclame par conséquent un passage vers un taux de change flottant, garant de crédibilité et d’efficacité !
L’observation du comportement de la BCT en matière d’interventions sur le marché de change prouve, qu’effectivement, cette dernière a commencé à appliquer les directives du FMI en suivant la voie du flottement. En effet, le montant des transactions bilatérales nettes effectuées sur le marché de change est passé de 3524MDT en juin 2016 à seulement 755.8MDT en octobre 2016[3].
De la crédibilité et l’efficacité du flottement
Clairement, tôt ou tard, nous irons vers le flottement du dinar, que ce soit d’une manière délibérée ou forcée[4]. Il est à noter à ce niveau que ce flottement n’est pas fatal en soi, du moment où il est permet une amélioration de la compétitivité des exportations, amortit les chocs exogènes, assure une plus grande attractivité des touristes et des IDE et agit par conséquent sur la croissance et l’emploi.
Cependant, dans le cas de la Tunisie, le raisonnement n’est pas aussi mécanique et les effets positifs attendus ne sont pas garantis. D’ailleurs, la dégringolade du dinar qui fut déjà importante en 2016 n’a pas donné les résultats espérés et les indicateurs macroéconomiques et financiers demeurent toujours en berne. Clairement, la dépréciation du dinar de 12% vis-à-vis de l’euro et de presque 13% vis-à-vis du dollar ne s’est pas traduite par une reprise notable ni du tourisme, ni des exportations, ni des IDE, ni même des transferts des tunisiens résidants à l’étranger. Pire encore, on semble ignorer que cette dépréciation a provoqué un renchérissement des importations, une détérioration du pouvoir d’achat mais aussi et surtout un surcoût en matière d’endettement.
Visiblement, le flottement d’une monnaie ne constitue guère une panacée pour une économie malade, souffrant de contraintes économiques, financières et extra-économiques. Deux véritables questions se posent ici : avons-nous encore le choix et la capacité d’agir ? Que faut-il faire pour éviter le pire, au cas où le flottement denint inévitable ?
Cependant, dans le cas de la Tunisie, le raisonnement n’est pas aussi mécanique et les effets positifs attendus ne sont pas garantis. D’ailleurs, la dégringolade du dinar qui fut déjà importante en 2016 n’a pas donné les résultats espérés et les indicateurs macroéconomiques et financiers demeurent toujours en berne. Clairement, la dépréciation du dinar de 12% vis-à-vis de l’euro et de presque 13% vis-à-vis du dollar ne s’est pas traduite par une reprise notable ni du tourisme, ni des exportations, ni des IDE, ni même des transferts des tunisiens résidants à l’étranger. Pire encore, on semble ignorer que cette dépréciation a provoqué un renchérissement des importations, une détérioration du pouvoir d’achat mais aussi et surtout un surcoût en matière d’endettement.
Visiblement, le flottement d’une monnaie ne constitue guère une panacée pour une économie malade, souffrant de contraintes économiques, financières et extra-économiques. Deux véritables questions se posent ici : avons-nous encore le choix et la capacité d’agir ? Que faut-il faire pour éviter le pire, au cas où le flottement denint inévitable ?
Il n’est jamais trop tard!
Généralement, les marchés financiers offrent aux acteurs économiques et financiers les possibilités de se prémunir contre les risques de variation des taux de change. Une dépréciation attendue incite normalement la banque centrale à s’orienter vers les salles de marchés ou encore les banques d’investissement (proxy) pour couvrir ses positions via une technique, communément appelée « Hedging ». Les dérivés financiers utilisés dans le cadre de cette technique facilitent en effet le dégroupage, le reconditionnement et la réallocation des risques liés aux fluctuations des cours de changes dans un marché financier très volatile.
Techniquement, pour couvrir une position de change, l’Etat Tunisien (via la Banque Centrale) pourra investir dans deux titres avec des corrélations négatives. Il s’agit d’une opération où l’institut d’émission vend le sous-jacent et prend la position Delta Neutre [5]. Une telle couverture est extrêmement intéressante dans des situations de marché où l’Etat anticipe des fluctuations importantes de devises génératrices de grandes pertes de trésorerie.
D’autre part, il est possible de multiplier les opérations de « Swaps de change » où deux parties (ou encore deux instituions) conviennent à l’avance si oui ou non ils échangeront les principaux montants des deux monnaies au début de la transaction. Ces deux montants principaux créent ce qu’on appelle un « taux d’échange implicite » qui pourra être différent du taux de change pratiqué sur le marché [6].
Au-delà des possibilités de couverture, le gouvernement devra engager les réformes nécessaires lui permettant de limiter les externalités négatives associées au flottement. Ces réformes devront concerner le système productif et financier, les finances publiques, le marché du travail ainsi que la Banque Centrale elle même.
Techniquement, pour couvrir une position de change, l’Etat Tunisien (via la Banque Centrale) pourra investir dans deux titres avec des corrélations négatives. Il s’agit d’une opération où l’institut d’émission vend le sous-jacent et prend la position Delta Neutre [5]. Une telle couverture est extrêmement intéressante dans des situations de marché où l’Etat anticipe des fluctuations importantes de devises génératrices de grandes pertes de trésorerie.
D’autre part, il est possible de multiplier les opérations de « Swaps de change » où deux parties (ou encore deux instituions) conviennent à l’avance si oui ou non ils échangeront les principaux montants des deux monnaies au début de la transaction. Ces deux montants principaux créent ce qu’on appelle un « taux d’échange implicite » qui pourra être différent du taux de change pratiqué sur le marché [6].
Au-delà des possibilités de couverture, le gouvernement devra engager les réformes nécessaires lui permettant de limiter les externalités négatives associées au flottement. Ces réformes devront concerner le système productif et financier, les finances publiques, le marché du travail ainsi que la Banque Centrale elle même.
Manifestement, la restructuration des institutions non financières (les entreprises publiques en particulier) et la modernisation des institutions financières (les institutions bancaires en particulier) permettront l’amélioration de la compétitivité, de la rentabilité et de la gestion des risques. De même, la consolidation budgétaire et l’assainissement fiscal aideront le gouvernement à s’orienter vers les activités d’investissement plutôt que solliciter l’option d’endettement. Aussi, l’introduction d’une dose supplémentaire de souplesse sur le marché du travail et l’amélioration -en même temps- des conditions d’emploi renforceront les capacités d’absorption des chocs tant exogènes qu’endogènes. Enfin, le renforcement de la responsabilisation de l’institut d’émission et l’amélioration de sa transparence permettront une plus grande expertise et ingéniosité dans l’allocation des ressources.
[1] “No single currency regime is right for all countries or at all times”.
[2] Ce régime consiste à assurer une dépréciation du dinar vis à vis d’un panier. Cette dépréciation se fait en fonction du différentiel d’inflation entre la Tunisie et les pays partenaires dont leurs monnaies sont incluses dans le panier.
[3] Chiffres calculées à partir des données disponibles sur le site de la BCT.
[4] La BCT, en collaboration avec la Banque de France et la Banque de Pologne, est en train de préparer un passage vers le régime de « Ciblage d’inflation » impliquant, ipso facto, un flottement.
[5] Le delta d'un portefeuille est la sensibilité de la valeur du portefeuille à une variation d'une variable de marché. Delta Neutre correspond à une sensibilité nulle. Il s’agit d’une situation où la banque centrale couvre une position courte sur forward $/DT par position longue sur $/DT (vente à terme de $ couverte par achat comptant de $).
[6] A titre d’exemple, si une opération implique l’échange de 10MDT vs 22.5M$, elle crée un échange implicite DT/$ de 2.25. A l’échéance, les deux mêmes montants en capital doivent être échangés au même taux et non pas au taux pratiqué sur le marché le jour j.
[1] “No single currency regime is right for all countries or at all times”.
[2] Ce régime consiste à assurer une dépréciation du dinar vis à vis d’un panier. Cette dépréciation se fait en fonction du différentiel d’inflation entre la Tunisie et les pays partenaires dont leurs monnaies sont incluses dans le panier.
[3] Chiffres calculées à partir des données disponibles sur le site de la BCT.
[4] La BCT, en collaboration avec la Banque de France et la Banque de Pologne, est en train de préparer un passage vers le régime de « Ciblage d’inflation » impliquant, ipso facto, un flottement.
[5] Le delta d'un portefeuille est la sensibilité de la valeur du portefeuille à une variation d'une variable de marché. Delta Neutre correspond à une sensibilité nulle. Il s’agit d’une situation où la banque centrale couvre une position courte sur forward $/DT par position longue sur $/DT (vente à terme de $ couverte par achat comptant de $).
[6] A titre d’exemple, si une opération implique l’échange de 10MDT vs 22.5M$, elle crée un échange implicite DT/$ de 2.25. A l’échéance, les deux mêmes montants en capital doivent être échangés au même taux et non pas au taux pratiqué sur le marché le jour j.
Dr Aram BelhadjUniversitaire, Tunisie
Dr Nader HaddadExpert Financier, Paris
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